"La fileuse endormie" Gustave Courbet 1853

Peint en 1853 la fileuse endormie, est la deuxième sœur de l'artiste, la tendre et modeste Zélie. Elle ne ressemble plus au portrait de jeune fille aux cheveux couverts de feuillages que son frère a peint quelques années plus tôt. Ses traits se sont épaissis, sa taille alourdie, seules ses mains restent fines.

 

 

La fileuse apparaît de prime abord comme une scène de la vie quotidienne. Le sommeil est un thème que Courbet a traité abondamment; sa "liseuse endormie" est très proche dans son abandon de cette fileuse, de même que le personnage assoupi des "demoiselles des bords de seine". Ce sommeil féminin est chez Courbet teinté d'un voyeurisme explicite et, s'il y a loin entre la"fileuse" et une figure érotique, une sensualité est ici à l'oeuvre. Nous nous trouvons ainsi au coeur de la peinture de Courbet: la matérialité des étoffes, le réalisme des attitudes, la suavité de l'abandon, en font avant tout un sujet charnel et terrien. Pourtant, la complexité des détails, des références iconographiques et de leur ré-interprétation plus ou moins consciente dote l'oeuvre d'une charge sociale venant déranger l'ordre et la morale, et susciter les passions.

La Fileuse

Paul Valéry

 

Assise, la fileuse au bleu de la croisée

Où le jardin mélodieux se dodeline,

Le rouet ancien qui ronfle l'a grisée.

 

Lasse, ayant bu l'azur, de filer la câline

Chevelure, à ses doigts si faibles, évasive,

Elle songe et sa tête petite s'incline.

 

Un arbuste et l'air pur font une source vive

Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose

De ses pertes de fleurs le jardin de l'oisive.

 

Une tige, où le vent vagabond se repose,

Courbe le salut vain de sa grâce étoilée, 

Dédiant magnifique, au vieux rouet sa rose.

 

Mais la dormeuse file une laine isolée;

Mystérieusement l'ombre frêle se tresse,

Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.

 

Le songe se dévide avec paresse

Angélique, et sans cesse, aux doux fuseaux crédule, 

La chevelure ondule au gré de la caresse...

 

Derrière tant de fleurs, l'azur se dissimule, 

Fileuse de feuillage et de lumière ceinte;

Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.

 

Ta soeur, la grande rose où sourit une sainte,

parfume ton front vague au vent de son haleine

Innocente, et tu crois languir... Tu es éteinte

 

Au bleu de la croisée où tu filais la laine.

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